une bouteille à la mer. (cid)

Les yeux plantés au ciel, il observe le vol des mouettes au-dessus de la baie en souriant. Il tient entre ses mains un agenda sur lequel il se plait à annoter toutes les informations dont il est le témoin. Un métier onirique, comme lui. Il passe la moitié de son temps à observer des animaux plutôt que d'observer les autres. Il ne sait pas se lier, ni se confier. Famille compliquée, histoire compliquée. Il n'en parle à personne mais, comme s'il s'agissait d'un oiseau migrateur, il annote dans son calepin tout ce qu'il fait et tous ceux qu'il rencontre. Parce que la vie est un voyage perpétuel, une litanie sans fin et un refrain qu'on répète à tue-tête. Un véritable terrain de jeu dont il est le seul protagoniste. L'aventure au bout des doigts, le monde dans l'encre de sa plume. Il plie les genoux, s'installe sur le sable et contemple les merveilles que lui offre la nature sans cesser un instant de sourire. Parce que la vie vous blesse, elle vous rend vulnérable, mais que le monde n'a de cesse que de vous offrir la liberté de choisir vos combats. Voilà longtemps qu'il a abandonné le sien. La maladie l'emportera, sans doute. Il s'en moque. Demain, dans six mois ou dix ans, il s'éteindra. Comme tous les hommes ici-bas, telle est la condition humaine. Mais il a encore le temps de vivre, alors jamais il ne s'arrête. Parce qu'il préfère partir l'esprit bourré de souvenirs plutôt que de s'éteindre la vague à l'âme. Un bruit attire son attention, il détache ses yeux du ciel et se concentre sur les vagues. Un Pluvier de Leschenault, à quelques mètres de lui. Chance inouïe, animal rare et en voie d'extinction. Il sourit de plus belle, sans faire de bruit ou de mouvements brusques. Parce que c'est aussi ça la vie ; le hasard des rencontres. Il prend son crayon, troque sa casquette d'ornithologue pour celle d'artiste. Il dessine, des coups brefs, précis. Il sait ce qu'il fait, il le maîtrise. L'oiseau qui prend vie sur sa feuille blanche, un souvenir immuable d'une rencontre inattendue en ce début de printemps. Et puis, il annote alors quelques particularités. La couleur sombre de ses yeux, ses jambes longues et sa démarche. Parce qu'il n'existe pas plus grand mystère que celui du règne animal, le cycle de la vie. Savoir que tout ce qui l'entoure vient d'un même point d'origine ; l'humanité. Humble, reconnaissant, il pose alors son agenda à côté de lui et sort une cigarette de la poche intérieure de son veston. Il restera quelques heures à observer l'oiseau, s'incrustant dans son intimité pour le comprendre et le deviner. Parce que vivre la vie des autres est parfois plus simple à supporter que la sienne.

dans ses valises il y a sa famille, deux soeurs et un frère. ses parents et tout ce que son nom lui rappelle et lui évoque. / mais également l'ainée, la plus grande, partie sans rien dire du jour au lendemain. s'éloignant des siens mais également de Cid, qui lui vouait une admiration jusque là sans borgne. / il trimballe aussi sa maladie comme un boulet attaché à ses jambes. fichu cancer dont il n'a encore osé parler à personne. / les voyages qu'il fait et qu'il a déjà fait. les départs, les absences plus ou moins fréquentes mais les nouvelles qu'il envoie régulièrement au reste de la famille pour ne pas reproduire les mêmes erreurs que sa soeur aînée. / l'amour qu'il ne sait pas donner et dont il n'a aucune idée. / les oiseaux et ses carnets de voyage, les animaux en règle générale et sa passion pour la nature. / la mort de son père, il y a quelque mois. épisode douloureux qu'il n'évoque pas par pudeur et respect. ça le ramène à son cancer, également, à sa mort plus ou moins proche et à sa condition d'être humain. / des centaines de pages griffonnées sur lesquelles il a dessiné toutes les espèces qu'il a déjà rencontrées. / son esprit bohème et indomptable, l'homme du monde plutôt que l'appartenance.