(JEFF) HUNGRY HEART

 je travaille, à croire que ça lui passe par-dessus la tête. j’peux pas croire que c’est déjà les hormones qui font qu’elle se comporte comme une petite conne. je finis mon cours, libère mes élèves dix bonnes minutes avant dans l’euphorie générale que ça peut provoquer. vire de ma classe les derniers retardataires. j’ai pas vraiment envie de m’y rendre, même pas du tout. je préférerais de très loin l’accompagner pour qu’elle aille se faire avorter. pas pour voir, ce bébé au fond d’son ventre. le sien, le mien, le nôtre. pourquoi j’ai couché avec cette môme bordel? j’arrive en retard, logique. j’ai pas le cœur à jouer les chauffards sur la route. il y a rien pour moi là-bas, j’sais même pas pourquoi j’y vais. parce qu’elle m’a demandé d’venir, qu’un esprit chevaleresque m’a fait hoché la tête à ce moment précis. putain, j’espère qu’il y aura ni son frère ni aucun membre de sa famille. j’espère très sincèrement qu’elle me fait pas un mauvais plan. je réfléchis pas vraiment avant de rentrer dans la clinique, j’essaie de faire abstraction de tout, de ma répulsion envers cette paternité dont je ne veux pas. j’me demande étrangement si mon père a été jusqu’à ce stade avant d’me planter moi et ma mère en nouvelle-zélande. on m’indique la salle où se trouve nala en me demandant si je suis son père, pas du bébé mais de nala. prends bien ça dans ta gueule jeff, j’réponds que non, j’explicite pas, me précipite dans la salle pour éviter toutes autres questions litigieuses. le médecin n’attendait visiblement personne, à croire qu’elle ne pensait pas me voir aujourd’hui. maintenant. je lui adresse un regard, histoire de savoir si ça va sans oser poser la question. « j’suis pas le père du bébé, j’viens juste histoire de l’accompagner. » je tiens à préciser le truc histoire de pas passer pour un dépravé sexuel. le médecin met le gel en question, j’peux pas vraiment regarder l’écran comme si c’était génial. est-ce qu’elle va faire semblant d'accueillir ça comme une bonne nouvelle ou est-ce que c’est bon, on veille à ce qu’il ou elle soit en bonne santé et basta. elle pourrait accoucher sous X et on en parle plus. en attendant, je la prends par la main histoire de bien me foutre de sa gueule. 

 nala continue à provoquer et par conséquent, continue à me taper sur le système nerveux. j’suis certainement pas venu pour encaisser gentiment les petits piques qu’elle ne se prive pas de me lancer à commencer par la main qu’elle broie joyeusement et qui se trouve douloureusement être la mienne. le médecin se balade sur son ventre tout en indiquant l’écran à chaque déplacement. et ouais, j’voulais pas le croire mais c’est là. il y a bien un bébé qui grandit à l’intérieure de cette gamine. j’ai beau prétendre le contraire, avoir angoissé et imaginé cent fois la scène depuis hier- c’est pas la même chose d’y être confrontée. j’me sens extrêmement coupable tout d’un coup, ouais. ce bébé, c’est le plus grand foutoir que j’ai jamais connu. le médecin se tire, forcément, faudrait être idiot pour considérer que ce bébé est voulu par ses deux parents. j’le suis du regard, disparaître derrière la porte avant de porter très vite mon attention vers nala. elle elle s’en fout, elle s’occupe à se rhabiller et c’est déjà pas mal. je continue à la fixer alors qu’elle feint de piètres excuses. j’lève les yeux au ciel pour lui signaler que j’en ai clairement rien à foutre. « fais-moi en deux, t’en auras trois. » je réponds sèchement parce que son rire débile et détaché est hyper énervant. faut pas qu’elle prenne trop la confiance nala, la chute risque de lui briser la nuque sinon. elle réalise, vaguement, peut-être, j’sais trop comment elle gère le fait que ouais, elle va devenir maman qu’elle le veuille ou pas. je l’imite en regardant l’écran, c’est bizarre d’se dire que c’est mon gosse, que c’est vivant et qu’il pourrait m’appeler papa. ça fout carrément les jetons. « tu comptes en faire quoi ? » j’pose une seule petite question pour ne pas la brusquer, j’évoque rien parce que j’pourrais jamais avoir le dessus vis-à-vis de ce bébé. je me redresse histoire de récupérer un papier essuie-tout, soulève le tee-shirt de nala précautionneusement en la fixant dans les yeux pour pas qu’elle me tape une crise. pour une fois, j’ai pas l’intention de dégrafer ses sous-vêtements. je pose une main sur son ventre, récupère sans vouloir m’y attarder le gel qu’elle a oublié et qui me colle aux doigts. « de rien. » j’la regarde pas, je jette le papier au fond d’la poubelle avant de tourner autour des différents appareils présents dans le petit cabinet. « faut vraiment qu’on réfléchisse à comment on va dissimuler et expliquer ça pendant six mois. »